Beatitude
"Il était une fois..."
(p) pour les lapins, et que l'air est tel qu'il paraît vert pour les hommes, oui, vert, nous il est transparent, ou un peu jaune avant la pluie d'automne, mais là il est vert, toujours vert, même quand il pleut, alors, le voilà qui se met à rêver à cette planète vers laquelle il voyage et il ne fait plus attention à ne plus être vu, et il entend alors un homme dire mais en voilà un drôle de passager clandestin, et trop tard, il est pris, alors il se débat un peu, mais c'est vraiment trop tard, puisque l'homme l'a attrapé par les oreilles, et au bout de quelques secondes, même, il se dit que ça ne sert plus à rien, qu'il ne pourra pas se sauver, même si les hommes font l'erreur de moins le tenir ne serait-ce qu'une demi-seconde, puisque, même s'il pouvait alors se sauver, ils chercheraient après lui, et la Korè n'a pas l'air si grande que ça à l'intérieur, alors ils le retrouveront sans doute très vite, c'est sûr même, bref, il reste là et attend, et un autre homme approche, qui dit au jeune garçon qui a attrapé notre cher lapin je suis désolé, mais il y a un règlement et il faut le respecter, et que même ce petit être pourrait mettre en péril la survie de l'équipage tout entier, et tout ça, et tout ça, bref, l'autre homme s'approche du lapin et va le mettre dans une sorte de hublot ou quelque chose qui y ressemble, et le lapin voit enfin l'espace, il voit dehors à travers une vitre qui est là, et cette vitre s'ouvre, et le lapin pense à tous ses amis à qui il pourrait raconter cette histoire incroyable, oui, lui, il est dans l'espace, oui, dans l'espace, et il se rend compte alors qu'il n'y a personne à qui il pourra la raconter, parce que, même s'il est attiré par la planète qu'il venait à peine de quitter, et où vivent ses amis, il n'est plus qu'à peine maintenant une petite masse de poil au milieu d'un grand rien, et une petite masse de poil, ça ne peut pas survivre dans un grand rien, et voilà, elle est finie, mon histoire, elle est étrange, je sais, mais c'est celle-là que me racontait ma mère quand j'étais tout petit, quand j'étais plus petit que vous, et c'est peut-être pour ça que je n'y suis jamais aller, là haut, ou vers ailleurs, parce que je suis bien ici, sur Terre, et surtout que je pense à ce tout petit lapin perdu dans ce grand vide, ce si grand vide pour ce tout petit lapin...
Cette nouvelle a été écrite en décembre 1996, a été publié tout d'abord dans Mignature n°6 (en 1998), puis, retravaillée, dans Est-ce F ? n°3 (juin 2001) et mise en ligne le 27 avril 2003.
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