Beatitude
"And they came to the river..."
Pour qui d'autre que Polly-Jean...

      Ils sont venus par la rivière... Leurs pieds lentement enfoncés dans son eau claire. Pure. Translucide. Ils ont passé la rivière. Gris dans le ciel. Pluvieux, presque. Ils ont passé la rivière qui nous séparait du monde de l'autre côté.
      Ils sont venus dans notre village.
      Notre village, lui, était bien, là où il était. On y vivait sans trop y penser, c'est vrai, mais c'était ainsi depuis le commencement. Le commencement. Le Jour de l'Astronef Lejour où les pères des pères des pères de nos pères s'étaient posés en catastrophe, ici. Sur le premier bout de roche qui se présentait à eux. Et la chance avait fait que ce bout de roche était habitable et magnifique. Ils avaient dû s'organiser, peu à peu. Donner naissance à tous ces petits villages, égrenés un peu partout à la surface de notre planète.
      Et ce village-ci, le mien, le nôtre, s'étalait nonchalamment, s'adaptant aux contours de la rivière, à ses méandres et ses lignes claires. Quelques maisons ici et là, faites de matériaux divers, mélanges de haute technologie et de techniques du cru, rencontres incongrues entre le matériau planétaire et une esthétique d'outre-monde.
      Et puis, il y avait aussi ceux de l'autre côté de la rivière.
      De l'autre côté, il y avait les combats, la sauvagerie. Les Ressouverants. Et leurs étranges machines, pointées vers le ciel. En prise avec notre vraie histoire, comme ils disaient. A l'écoute de notre passé.
      C'est l'Ancien qui m'avait raconté cette histoire, à moi, et aux enfants du villages rassemblés lors d'une célébration du Jour de l'Astronef... Il y a longtemps, avait-il dit, bien longtemps, les membres de notre groupe s'étaient divisés. Certains avaient choisi de vivre, de se fondre dans ce monde, de s'apprivoiser à lui, en l'apprivoisant à nous. Mais d'autres, enfermés dans un passé, une mission, une histoire qu'ils n'écriraient jamais, paranoïa aidant, résolurent de résister à la Contamination, comme ils disaient. Au nom de je ne sais quel
principe, ils s'empêchèrent de vivre, ressassant encore et encore leur non-appartenance au monde d'ici.
      Mais nous, nous étions bien, ici. Et nous avions pu, à notre tour, faire évoluer notre mode de vie, nos habitudes, notre société elle-même. Notre village comptait maintenant plus de 300 âmes.
      Et ce fut le jour où ils vinrent par la rivière.
      Ils étaient venus, dans leur grand uniforme blanc, suivis par des Ressouverants soudain étrangement silencieux. Le regard perdu. Ailleurs. Un faible murmure les accompagnait, qui parlait de retour, de nos ancêtres, de feux dans le ciel.
      Quant à eux, ceux qui sont venus, ils avaient ouvert les mains, la paume dirigée vers le haut. L'Ancien, soudain hypnotique, avait fait de même. Sans un mot, il les avait fait entrer dans son habitation. Alentour, l'étrange stupéfaction.
      Lorsqu'ils en sortirent, deux heures plus tard, attendus par une foule impatiente, ils n'avaient rien dit. S'étaient dirigés vers notre rivière. Y avaient placé une perle argentée, pas plus grosse que la noix des palmiers qui poussent à l'ouest du village. Et ils étaient repartis. Suivi des Ressouverants.
      L'Ancien alors prit la parole. Il parla de nos origines. Il parla du choix fait par les pères des pères des pères de nos pères, choix de vivre plutôt que de s'abîmer dans le souvenir d'un temps inconnu. Il parla d'une planète, ailleurs, loin, très loin, qui avait attendue leur retour. Puis qui avait envoyé d'autres groupes, à travers le vide, pour les retrouver.
      Et l'un de ces groupes venait d'y parvenir.
      Puis il expliqua cette perle du ressouvenir. Le Devoir de chacun. Notre appartenance à un autre lieu, à un autre temps. Il dit alors que nous n'étions pas obligés de faire ce geste, mais que nous nous étions retrouvés, et qu'il fallait sceller ces retrouvailles.
      Alors, s'approchant de la rivière, il y plongea.
      Lorsqu'il ressortit, nous ne vimes pas tout de suite la différence. Peut-être une façon autre qu'avait de briller sa peau. Et ses yeux. Sa voix s'éleva.                                     (s)
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