Beatitude
Les Caprices de Marianne
On entend des cris étouffés et un bruit éloigné dans le jardin.
OCTAVE, en dehors. - Ouvrez, ou j'enfonce les portes !
CLAUDIO, ouvrant, son épée sous le bras. - Que voulez-vous ?
OCTAVE. - Où est Coelio ?
CLAUDIO. - Je ne pense pas que son habitude soit de coucher dans cette maison.
OCTAVE. - Si tu l'as assassiné, Claudio, prends garde à toi ; je te tordrai le cou de ces mains que voilà.
CLAUDIO. - Etes-vous fou ou somnambule ?
OCTAVE. - Ne l'es-tu pas toi-même, pour te promener à cette heure, ton épée sous le bras ?
CLAUDIO. - Cherchez dans ce jardin, si bon vous semble ; je n'y ai vu entrer personne ; et si quelqu'un l'a voulu faire, il me semble que j'avais le droit de ne pas lui ouvrir.
OCTAVE, à ses gens. - Venez et cherchez partout !
CLAUDIO, bas à Tibia. - Tout est-il fini comme je l'ai ordonné ?
TIBIA. - Oui, Monsieur; soyez en repos, ils peuvent chercher tant qu'ils voudront.
Tous sortent.














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Acte Second
Scène Sixième


Un cimetière.
Octave et Marianne, auprès d'un tombeau.
OCTAVE. - Moi seul au monde je l'ai connu. Cette urne d'albâtre, couverte de ce long voile de deuil, est sa parfaite image. C'est ainsi qu'une douce mélancolie voilait les perfections de cette âme tendre et délicate. Pour moi seul, cette vie silencieuse n'a point été un mystère. Les longues soirées que nous avons passées ensemble sont comme de fraîches oasis dans un désert aride ; elles ont versé sur mon cœur les seules gouttes de rosée qui y soient jamais tombées. Coelio était la bonne partie de moi-même ; elle est remontée au ciel avec lui. C'était un homme d'un autre temps ; il connaissait les plaisirs et leur préférait la solitude ; il savait combien les illusions sont trompeuses, et il préférait ses illusions à la réalité. Elle eût été heureuse la femme qui l'eût aimé.
MARIANNE. - Ne serait-elle point heureuse, Octave, la femme qui t'aimerait ?
OCTAVE. - Je ne sais point aimer , Coelio seul le savait. La cendre que renferme cette tombe est tout ce que j'ai aimé sur la terre, tout ce que j'aimerai. Lui seul savait verser dans une autre âme toutes les sources de bonheur qui reposaient dans la sienne. Lui seul était capable d'un dévouement sans bornes ; lui seul eût consacré sa vie entière à la femme qu'il aimait, aussi facilement qu'il aurait bravé la mort pour elle. Je ne suis qu'un débauché sans cœur ; je n'estime point les femmes : l'amour que j'inspire est comme celui que je ressens, l'ivresse passagère d'un songe. Je ne sais pas les secrets qu'il savait. Ma gaieté est comme le masque d'un histrion ; mon cœur est plus vieux qu'elle, mes sens blasés n'en veulent plus. Je ne suis qu'un lâche ; sa mort n'est point vengée.
MARIANNE. - Comment aurait-elle pu l'être, à moins de ris-
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