TIBIA. - Pour quoi faire ?
CLAUDIO. - Je crois que Marianne a des amants.
TIBIA. - Vous croyez, Monsieur ?
CLAUDIO. - Oui ; il y a autour de ma maison une odeur d'amants; personne ne passe naturellement devant ma porte ; il y pleut des guitares et des entremetteuses.
TIBIA. - Est-ce que vous pouvez empêcher qu'on donne des sérénades à votre femme ?
CLAUDIO. - Non, mais je puis poster un homme derrière la poterne et me débarrasser du premier qui entrera.
TIBIA. - Fi ! votre femme n'a pas d'amants. - C'est comme si vous disiez que j'ai des maîtresses.
CLAUDIO. - Pourquoi n'en aurais-tu pas, Tibia ? Tu es fort laid, mais tu as beaucoup d'esprit.
TIBIA. - J'en conviens, j'en conviens.
CLAUDIO. - Regarde, Tibia, tu en conviens toi-même ; il n'en faut plus douter, et mon déshonneur est public.
TIBIA. - Pourquoi public ?
CLAUDIO. - Je te dis qu'il est public.
TIBIA. - Mais, Monsieur, votre femme passe pour un dragon de vertu dans toute la ville ; elle ne voit personne, elle ne sort de chez elle que pour aller à la messe.
CLAUDIO. - Laisse-moi faire. — Je ne me sens pas de colère après tous les cadeaux qu'elle a reçus de moi. — Oui, Tibia, je machine en ce moment une épouvantable trame et me sens prêt à mourir de douleur.
TIBIA. - Oh ! que non.
CLAUDIO. - Quand je te dis quelque chose, tu me ferais plaisir de le croire.
Ils sortent.
COELIO,
rentrant - Malheur à celui qui, au milieu de la jeunesse, s'abandonne à un amour sans espoir ! Malheur à celui qui se livre à une douce rêverie avant de savoir où sa chimère le mène et s'il peut être payé de retour ! Mollement couché dans une barque, il s'éloigne peu à peu de la rive, il aperçoit au loin des plaines enchantées, de vertes prairies et le
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