Beatitude
Les Caprices de Marianne
statue que vous ferez et qui ne laissera pas que de trouver quelque niche respectable dans un confessionnal.
MARIANNE. - Mon cher cousin, est-ce que vous ne plaignez pas le sort des femmes? voyez un peu ce qui m'arrive : il est décrété par le sort que Coelio m'aime, ou qu'il croit m'aimer, lequel Coelio le dit à ses amis, lesquels amis décrètent à leur tour que, sous peine de mort, je serai sa maîtresse. La jeunesse napolitaine daigne m'envoyer en votre personne un digne représentant chargé de me faire savoir que j'ai à aimer ledit seigneur Coelio d'ici à une huitaine de jours. Pesez cela, je vous en prie. Si je me rends, que dira-t-on de moi ? N'est-ce pas une femme bien abjecte que celle qui obéit à point nommé, à l'heure convenue, à une pareille proposition ? Ne va-t-on pas la déchirer à belles dents, la montrer au doigt et faire de son nom le refrain d'une chanson à boire ? Si elle refuse, au contraire, est-il un monstre qui lui soit comparable ? Est-il une statue plus froide qu'elle, et l'homme qui lui parle, qui ose l'arrêter en place publique son livre de messe à la main, n'a-t-il pas le droit de lui dire : vous êtes une rose du Bengale sans épines et sans parfum ?
OCTAVE. - Cousine, cousine, ne vous fâchez pas.
MARIANNE. - N'est-ce pas une chose bien ridicule que l'honnêteté et la foi jurée ? que l'éducation d'une fille, la fierté d'un coeur qui s'est figuré qu'il vaut quelque chose, et qu'avant de jeter au vent la poussière de sa fleur chérie, il faut que le calice en soit baigné de larmes, épanoui par quelques rayons de soleil, entre ouvert par une main délicate ? Tout cela n'est-il pas un rêve, une bulle de savon qui, au premier soupir d'un cavalier à la mode, doit s'évaporer dans les airs ?
OCTAVE. - Vous vous méprenez sur mon compte et sur celui de Coelio.
MARIANNE. - Qu'est-ce après tout qu'une femme ? L'occupation d'un moment, une coupe fragile qui renferme une goutte de rosée, qu'on porte à ses lèvres et qu'on jette par-dessus son épaule. Une femme ! c'est une partie de plaisir ! Ne pourrait-on pas dire, quand on en rencontre une : voilà
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une belle nuit qui passe ? Et ne serait-ce pas un grand écolier en de telles matières que celui qui baisserait les yeux devant elle, qui se dirait tout bas : « voilà peut-être le bonheur d'une vie entière », et qui la laisserait passer ?
Elle sort.
OCTAVE, seul. - Tra, tra, poum ! poum ! tra deri la la ! Quelle drôle de petite bonne femme ! ha! ! holà ! (Il frappe à une auberge.) Apportez-moi ici, sous cette tonnelle, une bouteille de quelque chose.
LE GARÇON. - Ce qui vous plaira, Excellence. Voulez vous du lacryma christi ?
OCTAVE. - Soit, soit. Allez-vous-en un peu chercher dans les rues d'alentour le seigneur Coelio, qui porte un manteau noir et des culottes plus noires encore. Vous lui direz qu'un de ses amis est là qui boit tout seul du lacryma christi. Après quoi vous irez à la grande place, et vous m'apporterez une certaine Rosalinde qui est rousse et qui est toujours à sa fenêtre. (Le garçon sort.) Je me sais ce que j'ai dans la gorge ; je suis triste comme une procession. (Buvant.) Je ferais aussi bien de dîner ici; voilà le jour qui baisse. Drig ! drig ! quel ennui que ces vêpres ! est-ce que j'ai envie de dormir? je me sens tout pétrifié. (Entrent Claudio et Tibia.) Cousin Claudio, vous êtes un beau juge ; où allez-vous si couramment ?
CLAUDIO. - Qu'entendez-vous par là, Seigneur Octave ?
OCTAVE. - J'entends que vous êtes un magistrat qui a de belles formes.
CLAUDIO. - De langage ou de complexion ?
OCTAVE. - De langage, de langage. Votre perruque est pleine d'éloquence, et vos jambes sont deux charmantes parenthèses.
CLAUDIO. - Soit dit en passant, Seigneur Octave, le marteau de ma porte m'a tout l'air de vous avoir brûlé les doigts.
OCTAVE. - En quelle façon, juge plein de science ?
CLAUDIO. - En y voulant frapper, cousin plein de finesse.
OCTAVE. - Ajoute hardiment plein de respect, juge, pour le
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