Beatitude
Les Caprices de Marianne
ge un châtiment! et lequel, par hasard ? Je voudrais bien savoir ce qu'il veut dire ! (Entre Octave.) Asseyez-vous, Octave, j'ai à vous parler.
OCTAVE. - Où voulez-vous que je m'assoie ? Toutes les chaises sont les quatre fers en l'air. — Que vient-il donc de se passer ici ?
MARIANNE. - Rien du tout.
OCTAVE. - En vérité, cousine, vos yeux disent le contraire.
MARIANNE. - J'ai réfléchi à ce que vous m'avez dit sur le compte de votre ami Coelio. Dites-moi, pourquoi ne s'explique-t-il pas lui-même ?
OCTAVE. - Par une raison assez simple ! il vous a écrit, et vous avez déchiré ses lettres ; il vous a envoyé quelqu'un, et vous lui avez fermé la bouche ; il vous a donné des concerts, vous l'avez laissé dans la rue. Ma foi, il s'est donné au diable, et on s'y donnerait à moins.
MARIANNE. - Cela veut dire qu'il a songé à vous ?
OCTAVE. - Oui.
MARIANNE. - Eh bien ! parlez-moi de lui.
OCTAVE. - Sérieusement ?
MARIANNE. - Oui, oui, sérieusement. Me voilà. J'écoute.
OCTAVE. - Vous voulez rire ?
MARIANNE. - Quel pitoyable avocat êtes-vous donc? Parlez, que je veuille rire ou non.
OCTAVE. - Que regardez-vous à droite et à gauche ? En vérité, vous êtes en colère.
MARIANNE. - Je veux prendre un amant, Octave... sinon un amant, du moins un cavalier. Que me conseillez-vous ? Je m'en rapporte à votre choix : — Coelio ou tout autre, peu m'importe ; — dès demain, — dès ce soir, — celui qui aura la fantaisie de chanter sous mes fenêtres trouvera ma porte entrouverte. Eh bien ! vous ne parlez pas ? Je vous dis que je prends un amant. Tenez, voilà mon écharpe en gage : — qui vous voudrez la rapportera.
OCTAVE. - Marianne ! quelle que soit la raison qui a pu vous inspirer une minute de complaisance, puisque vous m'a-
(p)
vez appelé, puisque vous consentez à m'entendre, au nom du ciel, restez la même une minute encore, permettez-moi de vous parler.
Il se jette à genoux.
MARIANNE. - Que voulez-vous me dire ?
OCTAVE. - Si jamais homme au monde a été digne de vous comprendre, digne de vivre et de mourir pour vous, cet homme est Coelio. Je n'ai jamais valu grand chose, et je me rends cette justice que la passion dont je fais l'éloge trouve un misérable interprète. Ah ! si vous saviez sur quel autel sacré vous êtes adorée comme un dieu ! vous, si belle, si jeune, si pure encore, livrée à un vieillard qui n'a plus de sens et qui n'a jamais eu de cœur ! Si vous saviez quel trésor de bonheur, quelle mine féconde repose en vous ! en lui ! dans cette fraîche aurore de jeunesse, dans cette rosée céleste de la vie, dans ce premier accord de deux âmes jumelles ! Je ne vous parle pas de sa souffrance, de cette douce et triste mélancolie qui ne s'est jamais lassée de vos rigueurs, et qui en mourrait sans se plaindre. Oui, Marianne, il en mourra. Que puis-je vous dire ? Qu'inventerais-je pour donner à mes paroles la force qui leur manque ? Je ne sais pas le langage de l'amour. Regardez dans votre âme ; c'est elle qui peut vous parler de la sienne. Y a-t-il un pouvoir capable de vous toucher ? vous qui savez supplier Dieu, existe-t-il une prière qui puisse rendre ce dont mon coeur est plein ?
MARIANNE. - Relevez-vous, Octave. En vérité, si quelqu'un entrait ici, ne croirait-on pas, à vous entendre, que c'est pour vous que vous plaidez ?
OCTAVE. - Marianne ! Marianne ! au nom du ciel, ne sou-riez pas ! ne fermez pas votre coeur au premier éclair qui l'ait peut-être traversé! Ce caprice de bonté, ce moment précieux va s'évanouir. — vous avez prononcé le nom de Coelio, vous avez pensé à lui, dites-vous. Ah ! si c'est une fantaisie, ne me la gâtez pas. — Le bonheur d'un homme en dépend.
MARIANNE. - Etes-vous sûr qu'il ne me soit pas permis de sourire ?
(s)
accueil - textes - notules - blog - haikus - divers - mail