Beatitude
Les Caprices de Marianne
Acte Second
Scène Troisième


Chez Claudio
Claudio, Marianne.
CLAUDIO. - Pensez-vous que je sois un mannequin et que je me promène sur la terre pour servir d'épouvantail aux oiseaux ?
MARIANNE. - D'où vous vient cette gracieuse idée ?
CLAUDIO. - Pensez-vous qu'un juge criminel ignore la valeur des mots, et qu'on puisse se jouer de sa crédulité comme de celle d'un danseur ambulant ?
MARIANNE. - A qui en avez-vous ce soir ?
CLAUDIO. - Pensez-vous que je n'ai pas entendu vos propres paroles : si cet homme ou son ami se présente à ma porte, qu'on la lui fasse fermer ; et croyez-vous que je trouve convenable de vous voir converser librement avec lui sous une tonnelle, lorsque le soleil est couché ?
MARIANNE. - Vous m'avez vue sous une tonnelle ?
CLAUDIO. - Oui, oui, de ces yeux que voilà, sous la tonnelle d'un cabaret : la tonnelle d'un cabaret n'est point un lieu de conversation pour la femme d'un magistrat, et il est inutile de faire fermer sa porte quand on se renvoie le dé en plein air avec si peu de retenue.
MARIANNE. - Depuis quand m'est-il défendu de causer avec un de vos parents ?
CLAUDIO. - Quand un de mes parents est un de vos amants, il est fort bien fait de s'en abstenir.
MARIANNE. - Octave ! un de mes amants ? Perdez-vous la tête ? il n'a de sa vie fait la cour à personne.
CLAUDIO. - Son caractère est vicieux. — C'est un coureur de tabagies.
MARIANNE. - Raison de plus pour qu'il ne soit pas, comme vous dites fort agréablement, un de mes amants. Il me plaît de parler à Octave sous la tonnelle d'un cabaret.
(p)
CLAUDIO. - Ne me poussez pas à quelque fâcheuse extrémité par vos extravagances, et réfléchissez à ce que vous faites.
MARIANNE. - A quelle extrémité voulez-vous que je vous pousse ? Je suis curieuse de savoir ce que vous feriez.
CLAUDIO. - Je vous défendrais de le voir et d'échanger avec lui aucune parole, soit dans la maison, soit dans une maison tierce, soit en plein air.
MARIANNE. - Ah ! ah ! vraiment, voilà qui est nouveau ! Octave est mon parent tout autant que le vôtre ; je prétends lui parler quand bon me semblera, en plein air ou ailleurs, et dans cette maison, s'il lui plaît d'y venir.
CLAUDIO. - Souvenez-vous de cette dernière phrase que vous venez de prononcer. Je vous ménage un châtiment exemplaire, si vous allez contre ma volonté.
MARIANNE. - Trouvez bon que j'aille d'après la mienne, et ménagez-moi ce qui vous plaît. Je m'en soucie comme de cela.
CLAUDIO. - Marianne, brisons cet entretien. Ou vous sentirez l'inconvenance de s'arrêter sous une tonnelle, ou vous me réduirez à une violence qui répugne à mon habit.
Il sort.
MARIANNE, seule. - Holà ! quelqu'un. (Un domestique entre.) voyez-vous là-bas, dans cette rue, ce jeune homme assis devant une table, sous cette tonnelle ? Allez lui dire que j'ai à lui parler, et qu'il prenne la peine d'entrer dans ce jardin. (Le domestique sort.) Voilà qui est nouveau ! Pour qui me prend-on ? Quel mal y a-t-il donc ? Comment suis-je donc faite aujourd'hui ? Voilà une robe affreuse. Qu'est-ce que cela signifie ? "Vous me réduirez à la violence !" Quelle violence ? Je voudrais que ma mère fût là. Ah bah ! Elle est de son avis dès qu'il dit un mot. J'ai une envie de battre quelqu'un ! (Elle renverse les chaises.) Je suis bien sotte en vérité ! voilà Octave qui vient. — Je voudrais qu'il le rencontrât. — Ah ! c'est donc là le commencement ! On me l'avait prédit. — Je le savais. — Je m'y attendais ! Patience ! patience ! il me ména-
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