Beatitude
Les Caprices de Marianne
TIBIA. - Pour quoi faire ?
CLAUDIO. - Je crois que Marianne a des amants.
TIBIA. - Vous croyez, Monsieur ?
CLAUDIO. - Oui ; il y a autour de ma maison une odeur d'amants; personne ne passe naturellement devant ma porte ; il y pleut des guitares et des entremetteuses.
TIBIA. - Est-ce que vous pouvez empêcher qu'on donne des sérénades à votre femme ?
CLAUDIO. - Non, mais je puis poster un homme derrière la poterne et me débarrasser du premier qui entrera.
TIBIA. - Fi ! votre femme n'a pas d'amants. - C'est comme si vous disiez que j'ai des maîtresses.
CLAUDIO. - Pourquoi n'en aurais-tu pas, Tibia ? Tu es fort laid, mais tu as beaucoup d'esprit.
TIBIA. - J'en conviens, j'en conviens.
CLAUDIO. - Regarde, Tibia, tu en conviens toi-même ; il n'en faut plus douter, et mon déshonneur est public.
TIBIA. - Pourquoi public ?
CLAUDIO. - Je te dis qu'il est public.
TIBIA. - Mais, Monsieur, votre femme passe pour un dragon de vertu dans toute la ville ; elle ne voit personne, elle ne sort de chez elle que pour aller à la messe.
CLAUDIO. - Laisse-moi faire. — Je ne me sens pas de colère après tous les cadeaux qu'elle a reçus de moi. — Oui, Tibia, je machine en ce moment une épouvantable trame et me sens prêt à mourir de douleur.
TIBIA. - Oh ! que non.
CLAUDIO. - Quand je te dis quelque chose, tu me ferais plaisir de le croire.
Ils sortent.
COELIO, rentrant - Malheur à celui qui, au milieu de la jeunesse, s'abandonne à un amour sans espoir ! Malheur à celui qui se livre à une douce rêverie avant de savoir où sa chimère le mène et s'il peut être payé de retour ! Mollement couché dans une barque, il s'éloigne peu à peu de la rive, il aperçoit au loin des plaines enchantées, de vertes prairies et le (p)
mirage léger de son Eldorado. Les vents l'entraînent en silence et, quand la réalité le réveille, il est aussi loin du but où il aspire que du rivage qu'il a quitté ; il ne peut ni poursuivre sa route ni revenir sur ses pas. (On entend un bruit d'instruments) Quelle est cette mascarade? N'est-ce pas Octave que j'aperçois ?
Entre Octave.
OCTAVE. - Comment se porte, mon bon Monsieur, cette gracieuse mélancolie ?
COELIO. - Octave ! ô fou que tu es ! tu as un pied de rouge sur les joues ! - D'où te vient cet accoutrement ? N'as-tu pas de honte en plein jour ?
OCTAVE. - O Coelio ! fou que tu es ! tu as un pied de blanc sur les joues ! - D'où te vient ce large habit noir ? N'as-tu pas de honte en plein carnaval ?
COELIO. - Quelle vie que la tienne ! Ou tu es gris, ou je le suis moi-même.
OCTAVE. - Ou tu es amoureux, ou je le suis moi-même.
COELIO. - Plus que jamais de la belle Marianne.
OCTAVE. - Plus que jamais de vin de Chypre.
COELIO. - J'allais chez toi quand je t'ai rencontré.
OCTAVE. - Et moi aussi j'allais chez moi. Comment se porte ma maison ? Il y a huit jours que je ne l'ai vue.
COELIO. - J'ai un service à te demander.
OCTAVE. - Parle, Coelio, mon cher enfant. Veux-tu de l'argent ? Je n'en ai plus. Veux-tu des conseils ? Je suis ivre. veux-tu mon épée ? voilà une batte d'arlequin. Parle, parle, dispose de moi.
COELIO. - Combien de temps cela durera-t-il ? Huit jours hors de chez toi ! Tu te tueras, Octave.
OCTAVE. - Jamais de ma propre main, mon ami, jamais; j'aimerais mieux mourir que d'attenter à mes jours.
COELIO. - Et n'est-ce pas un suicide comme un autre que la vie que tu mènes ?
OCTAVE. - Figure-toi un danseur de corde, en brodequins d'argent, le balancier au poing, suspendu entre le ciel et la
(s)
accueil - textes - notules - blog - haikus - divers - mail