Beatitude
Les Caprices de Marianne
si ce n'est pas vous demander des larmes, racontez moi cette aventure, ma mère, faites-m'en connaître les détails.
HERMIA. - Votre père ne m'avait jamais vue alors. Il se chargea, comme allié de ma famille, de faire agréer la demande du jeune Orsini, qui voulait m'épouser. Il fut reçu comme le méritait son rang par votre grand-père et admis dans son intimité. Orsini était un excellent parti, et cependant je le refusai. votre père, en plaidant pour lui, avait tué dans mon cœur le peu d'amour qu'il m'avait inspiré pendant deux mois d'assiduités constantes. Je n'avais pas soupçonné la force de sa passion pour moi. Lorsqu'on lui apporta ma réponse, il tomba, privé de connaissance, dans les bras de votre père. Cependant une longue absence, un voyage qu'il entreprit alors, et dans lequel il augmenta sa fortune, devaient avoir dissipé ses chagrins. votre père changea de rôle et demanda pour lui ce qu'il n'avait pu obtenir pour Orsini. Je l'aimais d'un amour sincère et l'estime qu'il avait inspirée à mes parents ne me permit pas d'hésiter. Le mariage fut décidé le jour même et l'église s'ouvrit pour nous quelques semaines après. Orsini revint à cette époque. Il vint trouver votre père, l'accabla de reproches, l'accusa d'avoir trahi sa confiance et d'avoir causé le refus qu'il avait essuyé. Du reste, ajouta-t-il, si vous avez désiré ma perte, vous serez satisfait. Épouvanté de ces paroles, votre père vint trouver le mien et lui demander son témoignage pour désabuser Orsini. — Hélas ! il n'était plus temps, on trouva dans sa chambre le pauvre jeune homme traversé de part en part de plusieurs coups d'épée.









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Acte Premier
Scène Troisième


Le jardin de Claudio.
Claudio et Tibia, entrant.
CLAUDIO. - Tu as raison, et ma femme est un trésor de pureté. Que te dirai-je de plus ? c'est une vertu solide.
TIBIA. - vous croyez, Monsieur ?
CLAUDIO. - Peut-elle empêcher qu'on ne chante sous ses croisées ? Les signes d'impatience qu'elle peut donner dans son intérieur sont les suites de son caractère. As-tu remarqué que sa mère, lorsque j'ai touché cette corde, a été tout d'un coup du même avis que moi ?
TIBIA. - Relativement à quoi ?
CLAUDIO. - Relativement à ce qu'on chante sous ses croisées.
TIBIA. - Chanter n'est pas un mal, je fredonne moi-même à tout moment.
CLAUDIO. - Mais bien chanter est difficile.
TIBIA. - Difficile pour vous et pour moi qui, n'ayant pas reçu de voix de la nature, ne l'avons jamais cultivée ; mais voyez comme ces acteurs de théâtre s'en tirent habilement.
CLAUDIO. - Ces gens-là passent leur vie sur les planches.
TIBIA. - Combien croyez-vous qu'on puisse donner par an ?
CLAUDIO. - A qui ? à un juge de paix ?
TIBIA. - Non, à un chanteur.
CLAUDIO. - Je n'en sais rien. — On donne à un juge de paix le tiers de ce que vaut ma charge. Les conseillers de justice ont moitié.
TIBIA. - Si j'étais juge en cour royale, et que ma femme eût des amants, je les condamnerais moi-même.
CLAUDIO. - A combien d'années de galère ?
TIBIA. - A la peine de mort. Un arrêt de mort est une chose superbe à lire à haute voix.
CLAUDIO. - Ce n'est pas le juge qui le lit, c'est le greffier.
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