Beatitude
Les Caprices de Marianne
Acte Second
Scène Première


Une rue.
Octave et Ciuta entrent.
OCTAVE. - Il y renonce, dites-vous ?
CIUTA. - Hélas ! pauvre jeune homme ! il aime plus que jamais, et sa mélancolie se trompe elle-même sur les désirs qui la nourrissent. Je croirais presque qu'il se défie de vous, de moi, de tout ce qui l'entoure.
OCTAVE. - Non, de par le ciel ! je n'y renoncerai pas ; je me sens moi-même une autre Marianne, et il y a du plaisir à être entêté. Ou Coelio réussira, ou j'y perdrai ma langue.
CIUTA. - Agirez-vous contre sa volonté ?
OCTAVE. - Oui, pour agir d'après la mienne, qui est sa soeur aînée, et pour envoyer aux enfers messer Claudio le juge, que je déteste, méprise et abhorre depuis les pieds jusqu'à la tête.
CIUTA. - Je lui porterai donc votre réponse, et, quant à moi, je cesse de m'en mêler.
OCTAVE. - Je suis comme un homme qui tient la banque d'un pharaon pour le compte d'un autre, et qui a la veine contre lui ; il noierait plutôt son meilleur ami que de céder, et la colère de perdre avec l'argent d'autrui l'enflamme cent fois plus que ne le ferait sa propre ruine. (Entre Coelio.) Comment, Coelio, tu abandonnes la partie ?
COELIO. - Que veux-tu que je fasse ?
OCTAVE. - Te défies-tu de moi ? Qu'as-tu ? te voilà pâle comme la neige. Que se passe-t-il en toi ?
COELIO. - Pardonne-moi ! pardonne-moi ! Fais ce que tu voudras ; va trouver Marianne. — Dis-lui que me tromper, c'est me donner la mort, et que ma vie est dans ses yeux.
Il sort.
OCTAVE. - Par le ciel, Voilà qui est étrange !
CIUTA. - Silence ! Vêpres sonnent ; la grille du jardin vient de s'ouvrir ; Marianne sort. — Elle approche lentement.
(p)
Ciuta se retire. — Entre Marianne.
OCTAVE. - Belle Marianne, vous dormirez tranquillement. — Le coeur de Coelio est à une autre, et ce n'est plus sous vos fenêtres qu'il donnera ses sérénades.
MARIANNE. - Quel dommage et quel grand malheur de n'avoir pu partager un amour comme celui-là ! voyez comme le hasard me contrarie ! Moi qui allais l'aimer.
OCTAVE. - En vérité ?
MARIANNE. - Oui, sur mon âme, ce soir ou demain matin, dimanche au plus tard, je lui appartenais. Qui pourrait ne pas réussir avec un ambassadeur tel que vous ? il faut croire que sa passion pour moi était quelque chose comme du chinois ou de l'arabe, puisqu’il lui fallait un interprète, et qu'elle ne pouvait s'expliquer tonte seule.
OCTAVE. - Raillez, raillez, nous ne vous craignons plus.
MARIANNE. - Ou peut-être que cet amour n'était encore qu'un pauvre enfant à la mamelle, et vous, comme une sage nourrice, en le menant à la lisière, vous l'aurez laissé tomber la tête la première en le promenant par la ville.
OCTAVE. - La sage nourrice s'est contentée de lui faire boire d'un certain lait que la vôtre vous a versé sans doute, et généreusement ; vous en avez encore sur les lèvres une goutte qui se mêle à toutes vos paroles.
MARIANNE. - Comment s'appelle ce lait merveilleux ?
OCTAVE. - L'indifférence. Vous ne pouvez aimer ni haïr, et vous êtes comme les roses du Bengale, Marianne, sans épines et sans parfum.
MARIANNE. - Bien dit. Aviez-vous préparé d'avance cette comparaison ? Si vous ne brûlez pas le brouillon de vos harangues, donnez-le-moi, de grâce, que je les apprenne à ma perruche.
OCTAVE. - Qu'y trouvez-vous qui puisse vous blesser ? Une fleur sans parfum n'en est pas moins belle ; bien au contraire, ce sont les plus belles que Dieu a faites ainsi ; et le jour où, comme une Galatée d'une nouvelle espèce, vous deviendrez de marbre au fond de quelque église, ce sera une charmante
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