Beatitude
Relire un classique : Le Profanateur de Philip K. Dick
      Dans ses romans, donc, se trouve toujours "un homme sans envergure qui, inlassa-blement, s’affirme dans tout son potentiel" (dans "Le monde que je décris", cité par Le Kalédickoscope), un homme qui n’est qu’un grain de sable déréglant à peine la grande machine... à peine, mais c’est là toute la dif-férence... Cet acte se fait la preuve même de son huma-nité. L’humain, c’est celui qui n’est pas un androïde, non pas au sens physiologique, mais au sens moral ; l’humain, c’est celui qui, d’un coup, commet un acte qu’on ne peut pas prévoir, un acte qui ne fait pas partie d’une mécanique, d’une logique toute puissante.
      Vous souvenez-vous de la scène finale dans Blade Runner, film tiré d’un roman de Phil Dick ? Deckard, le chasseur de répliquants, est accroché à une poutre. Il pleut. Ses mains, torturées, vont lâcher. Il va mourir. Et en face de lui, dans toute sa grandeur, Roy Batty, le der-nier répliquant, être mécani-que, programmé, créé par l’homme. Il est la tête pen-sante des répliquants échap-pés, que Deckard traque de-
puis le début du film, et qu’il abat joyeusement et sans complexe un à un... La main de Deckard lâche, et Roy Batty le rattrape, lui sauvant la vie. D’après vous, lequel est humain ? Celui qui, pris dans le système, se contente de faire le boulot pour lequel il est payé, ou l’être, pourtant simple produit de la connais-sance humaine, qui commet une action pour laquelle il n’est pas prévu ? Le ré-dempteur, c’est lui. Et la raison de l’emploi de ce terme, c’est qu’il nous rend la foi en l’être humain. C’est que, sans autre raison que son humanité, il remonte, juste un peu, un tout petit peu, le courant entropique... Il se retrouve partout chez Phil Dick. C’est Mr Tagomi, dans Le Maître du Haut-Château. C’est Runciter, dans Ubik C’est...
      C’est notre bon vieux Allan Purcell, une des pre-mières figures de ce rédemp-teur. Son acte, il s’en souvient à peine ; pire, loin d’avoir pour motivation une affirma-tion politique forte, une dé-nonciation au grand jour d’un régime politique oppresseur, il n’a  pour seule raison  de son
acte qu’une envie... "Une envie très nette, presque une idée fixe. Une envie irré-pressible et d’une absolue clarté de [se] faire cette statue." (ch. 4) Mais cette toute petite chose suffit à prouver son humanité...
      Une conclusion ? Oui... Par Phil Dick lui-même... "Certaines personnes ont cru déceler de l’ amertume dans mes écrits. Je m’en étonne, car c’est au contraire vers la confiance que je tends. Peut-être sont-ils gênés par le fait que cette confiance s’investis-se en une si petite chose. Ils préfèreraient quelque chose de plus vaste. Eh bien, j’ai une mauvaise nouvelle à leur annoncer : il n’y a rien de plus vaste. Rien de plus, tout court,

La Porte Obscure
devrais-je dire. Mais au fond, avons-nous vraiment besoin de plus ? Mr Tagomi ne suffit-il pas amplement ? Et ce qu’il fait, n’est-ce pas assez ? Moi, je sais combien cela compte. Et je m’en contente." (dans "Le monde que je décris")

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Bibliographie :
Philip K. Dick. Le Profa-nateur (The man who japed)
* 1956, Ace Books
* en France :
- 1977, Edition Le Sagitaire (sous le titre Le Détourneur)
- 1991, Livre de Poche n°7132
- 1994, in La Porte Obscure, (4e tome des romans chez Omnibus)

Philip K. Dick. Si ce monde vous déplaît, et autres écrits. Paris, L’éclat, 1998.

Hélène Collon. Regards sur Philip K. Dick. Le Kalé-dickoscope. Amiens, encrage, 1992.


Article publié dans Est-ce F ? n°2, en avril 2001.
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